Contraints à la fermeture depuis 8 mois et au moins jusqu'au 1er avril 2021, les patrons des discothèques bretonnes traversent des moments critiques. Privés de salaires et sans droits au chômage, nombreux sont ceux qui ont dû changer de casquette en attendant des jours meilleurs.
"Nous étions des oiseaux de nuit." Alexandre Delannoy est amer. Le 4 novembre dernier, la discothèque qu'il gérait à Saint-Grégoire, en Ille-et-Vilaine, avec Dominic Rousseau a été liquidée. En redressement judiciaire à l'automne 2019 et malgré des signes encourageants, le plan de continuation n'avait pas encore été décidé quand le premier confinement a douché leurs espoirs. Ils n'ont donc pas eu droit aux aides prévues pour leur profession. Les huiy mois sans activité les ont achevés. "Les juges ont considéré qu'il valait mieux s'arrêter là. Nous étions désemparés quand ils nous ont dit, "ce serait sauter pour mieux reculer."
Une institution des nuits rennaises a fermé ses portes, ses patrons vont devenir restaurateurs
Le Stanley, après 45 ans à animer les nuits de la banlieue rennaise a donc définitivement fermé ses portes. Et ses patrons ont bien l'intention de tourner la page. "Nous allons prendre la direction d'un restaurant. Mais cette fois, nous seront salariés et non gérants, car c'est trop de risques. Mais c'est dramatique car je suis avant tout un patron que l'on force à devenir employé et ça me rend triste" regrette Alexandre Delannoy.
Un patron de boîte bientôt chauffeur poids-lourds
Une conversion contrainte, voilà ce que connaissent beaucoup de gérants de boîtes de nuit. Régis Toutain est à la tête du Missyl à Pontivy dans le Morbihan. Depuis le mois de mars, il a cinq salariés au chômage partiel. Lui, le chômage, en tant que patron, il n'y a pas droit... Si les prêts garantis par l'Etat et les aides annoncées permettent pour l'instant à son affaire de survivre, il n'a pas revenus mensuels personnels. Il s'est donc mis en quête d'un travail salarié.
Déjà titulaire d'un permis C de conduite de poids-lourd, il s'est engagé dans une formation auprès de l'AFPA de Loudéac pour obtenir un certificat FIMO lui permetttant le transport de marchandises. A la clé, l'espoir d'une place en interim chez un transporteur et d'un salaire enfin."Moralement, c'est dur. J'ai fait un burn out, je suis sous traitement. On est des humains, pas des machines et on le voit bien, la santé mentale en a pris un coup."
Son associé employé par un maraîcher
Son associé, Jean-Pierre Le Berrigo venait de lui acheter la moitié des parts de la discothèque en janvier dernier, lorsque le Covid a tout ébranlé. Cet ancien directeur d'hypermarché qui avait décidé de quitter le monde de la grande distribution travaille depuis début novembre auprès d'un maraîcher de Plouhinec. "Je fais des préparations de commandes, de la livraison et du travail dans les champs." Sa femme coiffeuse à son compte est aussi touchée évidemment par le confinement. "On va pas rester à attendre. Le peu de fonds qu'on a, on les garde. Les aides de juin-juillet-août, on les a touché en octobre. C'est très compliqué." Mais il n'y a pas que l'aspect financier. "Humainement, psychologiquement, c'est une catastrophe, dans la profession. On a des gars dans le métier qui ne vont pas bien du tout" raconte-t-il en évitant de prononcer le mot suicide.
L'immobilier, une porte de sortie ?
Franck Haugomard gère cinq affaires en Bretagne, deux discothèques dont le Taly's à Yffignac près de Saint-Brieuc, deux restaurants et un pub. Si pour l'instant, ce sont les économies de 30 ans de vie de travail qui l'aident à tenir, il compte bien lui aussi trouver une autre activité professionnelle en attendant la réouverture de ses établissements . C'est vers l'immobilier qu'il compte se tourner. "Tout le monde cherche une issue pour trouver un salaire. Il y aura de la casse mais si on peut survivre et repartir, ce sera comme si on repartait de 0. Il va falloir se réinventer."
Et la suite ?
Même si Jean-Pierre Le Berrigo avoue son désarroi, il a retrouvé un peu d'optimisme avec l'annonce des vaccins bientôt prêts. Mais il reste prudent. "On ne sait pas comment les clients vont réagir quand on pourra réouvrir, reviendront-ils? Tant qu'on est fermé, on reçoit des aides, mais après, non. Et ce sera peut être encore plus dur."
A lui comme aux autres, les patrons du Stanley envoient un message d'encouragements. "On veut être un exemple pour que les autres continuent à se battre, se battre pour la pérénité du monde de la nuit".